Dans la Nation N°2209 du 9 septembre 2022, M. de Mestral évoque élogieusement les conclusions de mes travaux sur l’introduction du scrutin proportionnel pour l’élection des autorités exécutives dans notre canton. Malgré une validation complète du diagnostic, il demeure néanmoins convaincu de ne pas changer de mode de scrutin, en se basant sur deux interprétations quelque peu fantasmées.
Premièrement, il regrette que l’immense majorité des électeurs vote compact. Pourquoi donc le regretter ? Les citoyens ne sont-ils pas libres de voter comme ils le souhaitent ? Il convient ici de ne pas juger les électeurs sur leur façon de voter, mais de comprendre pourquoi ils votent ainsi. Un vote compact constituant le moyen le plus efficace de soutenir un parti, un étendard, on peut considérer que le choix d’une orientation politique importe davantage que celui de ses praticiens, même dans un exécutif. Et c’est même logique : dans un collège gouvernemental, l’individu n’existe pas ; seule s’exprime la voix de l’autorité collégiale.
Ensuite, le quart des sièges exécutifs non-représentatifs – ou mal attribués – évoqué dans mon infographie est considéré comme l’expression de la rationalité de l’électeur vaudois, capable de discerner la compétence dans un flot d’idéologies. Il est assez audacieux d’interpréter le scrutin de manière aussi généralisée et homogène. Dans mon infographie, je présente plusieurs scenarii autour d’un même vote au scrutin majoritaire, mais dont les résultats diffèrent radicalement selon les alliances passées entre les listes en présence. Mme Dittli aurait-elle été élue au Conseil d’Etat si son nom n’avait pas été préimprimé sur la liste de centre-droite ? La majorité des électeurs voulaient-ils vraiment l’élire ou seulement se débarrasser de Mme Amarelle ou maintenir l’UDC à l’écart du gouvernement ? Ces exemples démontrent que le scrutin majoritaire ne permet en aucune manière d’interpréter la « volonté » du corps électoral.
Un mot encore sur la notion de compétence. Est-il préférable pour un citoyen d’élire un candidat compétent et qui excellera à agir contre ses valeurs ou de choisir un candidat peut-être moins efficace mais qui fera tout ce qu’il peut pour protéger et promouvoir leurs valeurs communes ? En clair, notre nation sera-t-elle mieux servie par un candidat woke très compétent ou par un quidam souverainiste, pragmatique et amoureux de nos traditions ?
La démocratie est l’art de représenter. Jamais elle n’a été mécaniquement synonyme de compétence, seulement de popularité et de représentativité. Il est impossible pour chaque électeur d’être réellement informé sur le degré de compétence de chaque candidat. Il faudrait pour cela avoir l’occasion de travailler étroitement avec ces derniers pour se construire son propre jugement. A l’heure de la communication politique bien ciselée, il n’y a plus de place pour la sincérité ; seule l’image, seul le récit, le storytelling demeurent. Comment dès lors permettre à des milliers d’électeurs de se faire une opinion autrement que par un ralliement à une bannière ? L’hégémonie des votes compacts atteste cette volonté de ralliement.
Dans notre système de concordance, nous avons meilleur temps de profiter au mieux du scrutin proportionnel, qui fonctionne très bien – même sans appareils de partis politiques – et qui se déroule en deux temps : le premier où l’on choisit un drapeau, puis le second où l’on sélectionne le ou les candidats sous ce drapeau qui sont les plus à même de le porter efficacement. C’est le mode de scrutin le plus compatible avec notre régime de concordance, garant de notre stabilité institutionnelle et d’une précieuse paix civile. Chacun y est représenté à sa juste valeur (en termes de suffrages, bien-sûr).