Catégories
LIVRES

Le héros et le bad guy

Il y a cinquante ans, le monde est resté pétrifié à l’écoute de la nouvelle : le président Kennedy a été assassiné à Dallas en ce 22 novembre 1963. Nous venons de vivre une grande série d’hommages au travers des médias pour commémorer ce triste jubilé. Une question demeure toutefois : pourquoi Jack Kennedy fascine-t-il toujours autant ? Pourquoi est-il resté une icône de progrès, de modernité et de jeunesse ? Pourquoi jouit-il encore aujourd’hui d’un tel prestige et d’une telle notoriété post-mortem ?

Je suis tombé cet été sur un bouquin fort sympathique, rédigé par Georges Ayache et intitulé « Kennedy/Nixon : Les meilleurs ennemis » (Editions Perrin). Cet ouvrage retrace des épisodes de l’histoire politique américaine en mettant en perspective les parcours de ces deux politiciens aux profils très différents. L’auteur a cherché à présenter ces deux figures marquantes en se positionnant à contre-pied de la conscience collective. On y comprend que l’Amérique a toujours eu besoin d’avoir ses héros et ses bad guys. Le héros, c’est John Fitzgerald Kennedy, le héros de guerre devenu le plus jeune président élu. Le mauvais, c’est Richard Milhous Nixon, le tricheur, le roublard, emmêlé dans des affaires, le seul président à avoir été contraint de démissionner. Voilà comment se présentent les acteurs de cette mythologie américaine, tels qu’ils sont connus du grand public et admirés ou détestés.

Dans toute chose, il est primordial de voir au-delà des lieux communs et des traces laissées dans l’histoire. Georges Ayache a donc recueilli des faits, des épisodes significatifs des parcours politiques suivis en parallèle par Kennedy et Nixon. Le constat est intéressant : on découvre que dans la réalité des actes, les rôles devraient être inversés entre les deux protagonistes. Tant l’image, la personnalité et surtout le bilan politique de Kennedy sont très nettement surestimés, alors qu’au contraire, Nixon a toujours souffert d’une dévaluation de son image et de son action.

Tout commence avec les origines et les parcours des deux hommes. Tandis que Nixon ne connaissait que le travail, la pauvreté et la rigueur, dans sa Californie natale, Kennedy a pu grandir dans un univers de soie, sans jamais se soucier de devoir gagner sa vie. Membre d’une grande famille patriarcale, dont le parrain Joe Kennedy au passé et aux fréquentations troubles transfert à ses rejetons son ambition présidentielle et sa soif de revanche, il n’a eu de cesse que de profiter de la vie, de jouir du moment présent, dédaignant les études et vagabondant de femmes en femmes. Une règle : tout s’achète. Ainsi, John Kennedy fût diplômé des meilleures universités tout en étant reconnu comme un étudiant médiocre, obtint même le prix Pullizer pour un livre qu’il n’avait pas écrit, se fit élire au Congrès grâce à l’achat pur et simple d’électeurs du Massachussetts.

Nixon quant à lui a toujours été considéré en paria, un pauvre, indigne de vivre le rêve américain. Grand travailleur, brillant étudiant, il n’a pas pu rejoindre l’université de Harvard faute d’argent. Toujours décrié, il parvint néanmoins à rassembler pour remporter des élections. Cela a commencé au sein de l’association des étudiants de son campus. Passionné de politique depuis la première heure, il parvint toujours à remporter des élections très difficiles, dans des circonscriptions démocrates ultra-hostiles et contre des adversaires sortants très hargneux. Une règle : le travail.

Les deux politiciens sont entrés à la Chambre des Représentants en même temps en 1948. Très vite, une différence de style et d’efficacité s’est fait sentir. Le jeune Kennedy, à l’allure d’un adolescent immature, était peu appliqué, tant par la faible qualité de son travail parlementaire que par son absentéisme. Au contraire, Nixon est assez rapidement devenu un pilier du groupe républicain ; il s’est notamment illustré au sein de la célèbre commission des affaires antiaméricaines, à débusquer les espions supposés de l’Union soviétique et les sympathisants communistes en cette période de chasse aux sorcières. Cette notoriété naissante lui a également valu de plus en plus d’ennemis jurés notamment au sein de la gauche libérale. Ce qui ne l’empêcha pourtant pas d’accéder à la vice-présidence des Etats-Unis en 1953 aux côtés du populaire général Eisenhower. Dans ses deux mandats, Nixon n’a pas eu la vie facile ; attaqué jusqu’à l’usure par les libéraux, jamais soutenu par son président, impliqué malgré lui dans différents scandales, plus par naïveté que par réelle malhonnêteté. Il a cependant rempli avec loyauté toutes les missions délicates nécessitant de se salir les mains qui lui étaient systématiquement confiées par le président, soucieux de préserver son image de héros de la Seconde Guerre mondiale. Il a malgré tout acquis une forte expérience en politique internationale et enrichi son réseau, lui conférant une véritable stature d’homme d’Etat.

A l’inverse, Kennedy, poussé par l’énergie et la fortune revanchardes de son père Joe, préparait la présidentielle de 1960. Le clan a fait feu de tout bois pour remporter l’investiture démocrate, puis l’élection présidentielle : corruption, accointances avec la mafia, bourrages d’urnes, intimidations. John était entretemps devenu une icône glamour, un objet médiatique télégénique, l’image de la bouffée d’oxygène dont l’Amérique avait tant besoin en cette période de guerre froide.

La suite, on la connaît. Kennedy l’emporta de justesse au terme de l’élection la plus controversée de l’histoire des Etats-Unis. D’importants soupçons de fraudes, notamment dans le comté de Cook, à Chicago, et au Texas subsistent. Il est fort probable que l’élection ait été volée à Nixon, qui a malgré tout concédé la victoire avec humilité et une certaine classe, dont les Américains se sont souvenus. Il a en effet renoncé à actionner la machine judiciaire, privilégiant l’unité du pays.

Pendant sa traversée du désert, Nixon a encore travaillé ; il s’est engagé sur le terrain pour renforcer le parti républicain, laminé par les élections de 1964. Il a surtout réussi la conversion durable des états conservateurs du sud, traditionnellement démocrates, au républicanisme. Ce travail de longue haleine a une fois encore porté ses fruits : raz-de-marée républicain aux élections de 1968. En outre, Nixon est parvenu à s’imposer à l’investiture du parti, contre un certain Ronald Reagan notamment, puis à la présidence des Etats-Unis.

En faisant abstraction de l’affaire du Watergate, résultat d’une paranoïa qui s’est manifestée depuis peu, le bilan politique de Nixon est plutôt bon. On lui doit de grands succès diplomatiques, notamment avec la Chine communiste de Mao ou avec une sortie honorable du bourbier vietnamien. Au contraire, s’il l’on retire son image de rafraîchissement, ses grandes phrases et son assassinat et l’émotion y relative, le bilan du président Kennedy est médiocre : affaiblissement de la position des Etats-Unis vis-à-vis de l’URSS, défaite diplomatique autour de Cuba et tant d’autres couacs politiques. Beaucoup d’avancées sociales ont davantage été entreprises par son successeur Johnson.

La politique, c’est écrire l’histoire. Certains y arrivent mieux que d’autres, parfois très injustement. La maîtrise de la communication est un outil très efficace dans ce but. Les Kennedy ont parfaitement su créer ce story-telling, cette saga, qui fascine encore aujourd’hui le monde entier. C’est la victoire du paraître sur le travail politique. Espérons que par souci d’équité, Nixon sera un jour apprécié à sa juste valeur.